Il a 20 ans de cela, l’étincelle à l’origine du brasier qu’est maintenant Karmadharma a jailli dans le fauteuil d’un psychiatre. Du docteur Gil Zimmerman, pour être exact.
À 28 ans, j’avais pris la décision de tout quitter pour tenter de trouver un peu d’amour et de normalité.
Je laissais derrière moi une mère alcoolique, manipulatrice et professionnelle de l’autovictimisation. Un beau-père alcoolique, narcissique et violent verbalement. Une sœur qui avait malheureusement choisi de s’en tenir aux habitudes malsaines qu’elle connaissait. Une dépendance à la drogue vieille de 10 ans et un groupe d’amis avec qui je la partageais. En soi, presque tout mon entourage.
Ce vers quoi je me dirigeais : Jody, la fille de mes rêves. Une femme qui rayonne d’un amour pur, dans toutes ses formes, au point où je ne parviens plus à lui rendre la pareille. D’où la thérapie qui devait réduire mes chances de tout gâcher.
Le Docteur Zimmerman est un petit homme frêle portant des lunettes à la barbichette grise et vêtu d’un cardigan à la monsieur Rogers; la chose lui allait probablement il y a 20 ans, mais ne ressemblait plus qu’à une couverture surdimensionnée avec des manches aujourd’hui. Il travaille dans un bâtiment gris datant des années 70, avec un ascenseur décrépit, des couloirs de la même couleur et un bureau qui illustre d’autres nuances grisâtres.
- Qui je suis? – Voilà ce que je me suis demandé tout en m’enfonçant, abattu, dans son fauteuil.
- Bon sang, comment pouvais-je me poser cette question à ce stade de ma vie?
- Comment pouvais-je être aussi perdu?
- Comment pouvais-je être à ce point dissocié de ma personne à mon âge?
- Comment ai-je pu laisser l’opinion de tous les autres passer avant la mienne?
Minute, pourquoi le bureau du psy semble si petit tout à coup? Pourquoi est-ce si étouffant ici? Ah, un instant, ça vient clairement de moi. Ce n’est pas réel.
Malgré sa petite taille, le psychiatre dégage un sacré potentiel.
Ça faisait déjà six mois que je participais à ces séances et que j’y étalais mes sentiments. Chaque rendez-vous de 50 minutes est meublé de 48 minutes de bla-bla où je sens que je n’ai rien à dire et de deux minutes d’introspection fulgurante de la part du docteur Z qui semble me frapper à la tête avec une énorme massue à base de « bordel, c’était quoi ça ».
« Peut-être faut-il accepter le fait que ces événements ne disparaîtront jamais complètement, et trouver un moyen de vivre avec », déclarait-il.
Ou encore « vous êtes-vous déjà demandé si vous ne poursuiviez pas un idéal qui n’a en fait jamais existé? »
Accompagnez par toutes sortes de « veuillez vous bouger le cul et voir la vie pour ce qu’elle est ».
On s’entend que je paraphrase ici.
Des fois, j’ai l’impression d’avoir des racines aériennes. Comme une sorte d’orchidée. Je ne sais pas du tout comment ça marche, mais elle semble faire pousser ses racines en n’étant ancrée dans rien de solide, des racines qui s’imprègnent de l’eau présente dans l’air. Elle reste simplement là sans points d’ancrage, comme moi pendant la majeure partie de ma vie.
Je n’ai presque aucune racine dans ma culture, dans mon pays, dans ma famille, dans ma langue ou dans une religion.
Pourtant, quand je regarde autour de moi, je peux voir que pour beaucoup l’identité repose sur l’une de ces catégories. Je suis grecque. Je suis chrétien. Je viens de Montréal. Ma famille est mon pilier. Lorsque j’examine ces associations et ces points d’ancrage, je constate que, pour moi, ils n’ont aucune signification.
Je les vois. Je peux les reconnaitre. Il est évident que je dispose de certains de ces attachements, mais en même temps, ils me semblent tellement restrictifs. Si éloignés. Une partie de moi a envie de s’y accrocher, de s’y cramponner et de les utiliser pour donner un sens à ce dont je suis témoin et à ce que je ressens, ainsi qu’un contexte et une signification à mes agissements. Comme une sorte de lunette à travers laquelle voir le monde.
Mais ce ne serait que mensonge.
Il semble que ce soit à moi de définir ma propre vision du monde, ce qui est, il faut le reconnaitre, assez terrifiant. Quelque part, j’aurais aimé emprunter la voie familière et concrète. Même si, maintenant que je le dis, je pense aussi que c’est une erreur.
Je veux suivre le chemin qui m’est destiné. Simplement, par moment, je souhaite avoir plus de clarté et de détermination. Je ne serais pas contre un résultat garanti, juste pour la forme, mais je n’ai pas l’impression que les choses se passeraient ainsi.
Bref, ce moment m’a propulsé dans un voyage de 20 ans vers la découverte de soi, l’accomplissement de soi et le dépassement de soi.
Je vous épargne la longue et grande histoire de ma vie, que vous pourrez lire dans mes mémoires un beau jour, mais en voici une version abrégée.
Mon alcoolique de mère avait une mentalité de victime; rien n’était jamais de sa faute. J’étais l’une des nombreuses raisons expliquant pourquoi sa vie ne s’est pas déroulée comme elle l’avait espéré. Mon alcoolique de beau-père me répétait souvent que je n’irais pas loin dans la vie et que je n’arriverais pas à grand-chose.
Toute ma vie, je sentais que quelque chose clochait, mais je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. J’avais l’impression que quelque chose n’allait pas chez moi parce que je savais que je n’étais pas à ma place. Ce qui a entrainé une bataille de 10 ans avec une dépendance à la drogue qui a finalement cessé dans les jours précédant ma première rencontre avec le fauteuil du docteur Zimmerman.
J’étais endormi au volant de ma propre vie. À la dérive, sans but précis, comme un vulgaire déchet.
À 18 ans, je me suis inscrit en Sciences politiques à l’Université McGill parce que mon beau-père m’avait dit que ce serait un bon tremplin pour devenir avocat comme lui. Mon Dieu que je n’avais jamais voulu ça. J’ai abandonné le programme avec 84 crédits complétés sur 90…. (j’y retournerai 5 ans plus tard pour le finir. Merci, Jody.)
À 24 ans, après avoir été serveur dans un restaurant du centre-ville et m’être dit que la vie ne se résumait pas à cela, j’ai fini par entamer une carrière à la radio parce que (attention, grande décision de vie à venir) le petit ami de ma sœur à l’époque avait un voisin qui travaillait dans le domaine. Elle m’a obtenu un emploi à la station de radio. J’y faisais autant d’heures payées que de bénévolat. Une carrière de 18 ans suivra ce moment très intentionnel et décisif…
Avec le temps, j’ai commencé à gravir les échelons au sein de l’entreprise, des échelons que, je m’en rends compte aujourd’hui, je n’ai jamais désiré gravir.
À 36 ans, je suis même allé jusqu’à contracter mon premier prêt étudiant pour suivre un MBA pour cadres, parce que je pensais que ça me permettrait d’atteindre des échelons qui m’étaient encore inaccessibles. Ouais! Emprunter de l’argent pour continuer sur une voie que je ne désirais pas en premier lieu. Génial!
Après une fin de semaine de retraite en compagnie de mon oncle Jimmy, un prêtre jésuite extrêmement sage, le frère de mon beau-père, et l’homme qui m’a appris que je n’avais pas besoin d’aller à l’église pour être un bon chrétien, j’ai compris que je n’étais pas venu sur cette terre pour vendre des publicités à la radio aux concessionnaires automobiles. Qui l’aurait cru?
Le travail de ma vie, c’est d’aider les gens à avoir le courage d’être eux même dans cette vie et à partager leur génie avec le monde. Et… je continue à être mon premier et éternel client.
Malgré cette révélation, un problème résistait : la prison que constituaient les menottes dorées d’un bon emploi dans une entreprise, associé à une famille et à un mode de vie à entretenir. Je n’avais pas assez d’argent pour me permettre de dire « que l’argent va au diable » comme dirait mon bon ami Dave, de tout plaquer et quitter mon emploi. Sans parler du manque criant de confiance en ma capacité à entreprendre quelque chose par moi-même, et de connaissance sur le type d’entreprise que je souhaitais lancer.
Toutefois, lorsque vous exprimez vos besoins à l’univers, la vie a une drôle de façon de vous aider.
J’ai décidé de partager ma nouvelle révélation sur le but de ma vie avec la vice-présidente du développement organisationnel de Bell Media.
- Je comprends maintenant que je n’ai pas été mis sur cette terre afin de générer de la valeur pour les actionnaires de Bell. Ce n’est pas la raison pour laquelle je suis ici, dans cette vie.
L’expression sur son visage n’a pas changé alors qu’elle a acquiescé, non comme un signe qu’elle comprenait, mais probablement plus un signe d’incrédulité face au suicide de carrière dont elle venait d’être témoin. Peu de temps après, j’ai été (sans surprise) écarté du programme Next Generation management training program.
Ensuite, après des années de coupes budgétaires dues à la baisse des revenus de la radio et de la télévision causée par l’invasion du numérique, ça a été mon tour de voir mon poste supprimé, comme 100 de mes bons amis à travers le pays. J’avais 42 ans.
Après une réunion dans la salle de conférence d’un hôtel quelconque à la première heure avec les RH et mon patron, qui se sont montrés très aimables, autant qu’il est possible de l’être dans ce genre de situation, je suis allé garer ma voiture le long de la rivière pour réfléchir à mes objectifs pour la seconde moitié de ma vie.
L’après-midi même, Jody m’envoyait des offres d’emploi et, dans les 24 heures qui suivirent, plusieurs stations de radio me contactèrent.
Or, je me suis vite rendu compte que si je ne me lançais pas dans l’entrepreneuriat à ce moment-là, avec un an de salaire à la banque, je n’y arriverais probablement jamais. Et si je suivais cette voie, j’en voudrais à Jody, mais aussi, et surtout, à moi-même.
Je me suis donc lancé dans le monde de l’entrepreneuriat, sans vraiment savoir ce que je faisais. Je me suis installé dans un coin chic d’un Starbucks et j’ai appelé les personnes que je connaissais pour leur faire savoir que j’avais franchi le pas et voir si elles souhaitaient collaborer avec moi. S’il vous plait. S’il vous plait. S’il vous plait.
Je me suis associé à un entrepreneur qui dirigeait déjà une agence, car je n’avais pas le courage de me lancer seul dans l’aventure. Je redoutais de ne pas en savoir assez. Sans aide, je craignais d’échouer.
Ce fut un véritable désastre. Je compare maintenant cette expérience à celle d’une petite amie rebelle, mais sur le plan professionnel. J’ai rapidement compris que lui et moi ne partagions pas les mêmes valeurs, tant dans la vie que dans la comptabilité. Alors, au bout de six mois, j’ai pris contact avec un avocat, j’ai rédigé les documents nécessaires et je lui ai demandé de quitter.
À partir de là, nous avons fait tout ce qu’il fallait pour mettre de la nourriture sur la table. Quand un client demandait si nous faisions « ça », peu importe ce que c’était, la réponse était oui. Ce n’est qu’ensuite que nous allions chercher à savoir ce qu’il en était. Au tout début, une de nos principales compétences consistait à chercher sur Google plus vite que le client.
Par miracle, j’ai convaincu Annik, mon âme sœur dans le monde professionnel et ma collègue pendant 10 ans chez Astral/Bell Media, de changer de navire et de m’aider à construire ce projet. Nos compétences sont totalement différentes, mais nos valeurs sont parfaitement alignées. Un combo parfait.
Doucement, mais surement, notre entreprise grandissait.
Au cours de cette période, j’ai compris que karmadharma était en train de devenir l’œuvre de ma vie. Un vecteur externe pour amplifier mon impact dans le monde.
Je me suis demandé comment je pouvais étendre ma mission, celle d’aider les individus à avoir le courage d’être eux même dans cette vie, aux organisations. Comment faire pour élargir la portée de la réalisation de soi. Aujourd’hui, je me demande comment créer des organisations éclairées. À quoi cela ressemble-t-il? À quoi cela ressemblerait pour nous?
Pour en revenir à notre bon vieil oncle Jimmy, je me souviens qu’il m’a dit que ce que nous faisons n’est pas aussi important que la manière de le faire, ou notre façon de nous montrer dans le monde ainsi que de la façon dont on se traite soi-même et les autres.
Je partage la vision de Viktor Frankl selon laquelle l’homme est animé, non pas d’une volonté de plaisir, mais d’une volonté de sens. Et, que lorsque l’on ne trouve pas de sens, on se distrait par le plaisir.
Cette conviction m’a poussé à réfléchir à la manière dont Karmadharma peut être une organisation exemplaire en ce qui concerne la gestion d’une organisation engagée à but lucratif.
À quoi ressemblerait une vie pleine de sens pour karmadharma?
Elle se résumerait à : aider les individus et les organisations à réaliser leur plein potentiel, à maximiser leur impact et à être fidèles à eux-mêmes tout au long de leur vie.
Ou plus éloquemment exprimé par cette citation de Sarah Blondin :
« Notre réel don de cette vie est d’être la lumière qui aide une autre lumière à grandir. D’être cette lumière présente qui reconnaît vraiment quelque chose, et qui aide cette chose à rayonner de sa propre lumière »
Le monde a besoin de votre génie, point.
Pendant longtemps, je n’ai pas essayé de voir grand. Je me contentais de penser que je ne méritais pas mieux. De me dire « qui suis-je pour contribuer, pour partager, pour être écouté? » Je ne me suis pas livré à des années de recherche afin de maitriser un sujet. Je n’ai pas le titre de docteur avant mon nom. En revanche, je peux compter sur deux décennies d’efforts déployés afin de devenir une meilleure personne.
Elles m’ont amenée à vouloir aider les autres à se débarrasser de leurs conditionnements, de leurs croyances restrictives et de tous les parasites qui leur ont été imposés par une foule de facteurs. Toutes les merdes qui les empêchent de vivre leur meilleure vie, la plus authentique possible.
Je comprends. Il est difficile de s’en séparer. De toutes ces conneries que nous connaissons, que nous avons connues et dans lesquelles nous avons été immergés, consciemment ou non, tout au long de notre vie.
Mais, que se passe-t-il quand on décide de s’en séparer et de choisir consciemment une autre manière d’exister dans le monde? Une vie que nous choisissons, pas celle dont nous héritons. Une vie loin de ce qui nous a été imposé. Une vie dans laquelle tout ce que nous entendons, voyons ou lisons est examiné à la lumière de nos propres valeurs. De ce qui fait sens pour nous. De notre raison d’être et de notre mission dans la vie.
Il est temps de se pencher véritablement sur cette foutue affaire. Le nuage du connu est à la fois puissant, obscurcissant et attirant.
Mais nous pouvons briser le cercle. Nous pouvons être la source de notre renaissance. Plonger au cœur de chaque instant pour être plus en phase avec notre soi authentique. Davantage en phase avec notre essence, notre divinité et notre interconnexion avec toute chose existante.
En tant qu’espèce, notre mission collective est de rendre service. Nous sommes ici pour donner, de tout notre cœur, de tout notre esprit et jusqu’à notre dernière parcelle d’énergie, afin de rendre cet endroit meilleur pour ceux qui nous entourent.
Pour lutter ardemment contre la haine, le cynisme, les schémas de pensée néfastes, le jugement, la compétition et la jalousie qui envahissent les médias et les discussions pendant les pauses café. Pour entreprendre un voyage intérieur, plus exotique que n’importe quelle destination sur terre. Pour arrêter de courir derrière quelque chose que nous n’avons peut-être jamais désiré. Pour nous tenir dans la sérénité de notre grandeur, dans toute notre splendeur, dans notre lumière radieuse.
Pour aider les autres à trouver le courage de faire briller leur lumière sans craindre des représailles ou de se faire rabaisser. Pour nous défaire de notre dépendance collective au plaisir supposé et à la fuite devant la vie. Nous devons vivre pleinement.
Chaque moment nous incite à atteindre l’excellence.
C’est à notre tour de briller. Ça l’a toujours été.
C’est le moment de s’y mettre!